
Jean-Louis Sagot-Duvauroux, auteur de plusieurs créations artistiques, cinématographiques et théâtrales, a répondu à nos questions le 22 janvier 2024.

Jean-Louis Sagot-Duvauroux est né à Paris en 1950 dans une famille de huit enfants. Depuis trois décennies, il se consacre à l’écriture : essais de philosophie politique, pièces de théâtre, scénarios de cinéma ou de séries vidéo… Il est également le directeur du théâtre de l’Arlequin, à Morsang-sur-Orge, dans le département français de l’Essonne, théâtre qui a été confié à l’antenne française de la Compagnie BaroDa (ex-BlonBa) par la collectivité publique du Cœur d’Essonne. Un mariage culturel franco-africain unique en France.

● Ça fait combien de temps que vous vivez au Mali ? Et d’où vient cet amour pour ce pays ?
J’ai mis les pieds au Mali en 1972, tout jeune enseignant au Lycée Prosper Kamara. J’avais alors un salaire local, qui m’a conduit à vivre à la malienne, dans une cour d’Hamdallaye.

Mon amour du pays m’est venu tout naturellement, par le fait que sa société, ses paysages, son Histoire et ses histoires sont entrés dans ma vie et n’en sont plus sortis. Je me suis marié à Ségou et notre fils a les deux nationalités sur papier comme je les ai dans le cœur. Depuis plus de 50 ans, je vis entre France et Mali.
● Vous êtes un homme engagé contre le racisme notamment vos actions de solidarité contre l’apartheid en Afrique du Sud pour ne citer que cela, d’où vienne cet engagement ?
Mes parents et mes grands-parents avaient vécu l’occupation de la France par les nazis. Des amis juifs de leur famille avaient été persécutés par l’occupant. Ma grand-mère nous disait toujours : « Si j’apprends qu’un de mes petits-enfants est raciste, il ne franchira plus le seuil de ma maison ».

Mon éducation chrétienne aussi m’avait fortement convaincu que tous les humains sont frères ou soeurs. J’ai suivi ce chemin. Quand en 1975 ; le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples) m’a confié la rédaction en chef de son mensuel Droit et Liberté, né dans la Résistance au nazisme, comme j’avais ce lien charnel avec l’Afrique, j’ai pris la responsabilité de l’action du mouvement contre l’apartheid
● Vos études de théologie, vous ont-elles influencé pour l’écriture de la Genèse qui est presque tirée de la Bible ?
En arrivant et en vivant au Mali, je me suis rendu compte que je comprenais mieux bien des textes de la Bible qu’en effet j’avais étudié à l’Institut Catholique de Paris, notamment les relations entre les Hébreux, pasteurs nomades, et les Cananéens sédentaires chez qui ils avaient conduit leurs troupeaux. Je voyais ça vivre devant mes yeux à l’occasion de mes séjours dans le Mali rural. J’ai relu le premier livre de la Bible, la Genèse, avec ces paysages et ces pratiques à l’esprit et j’ai eu le sentiment que ça donnait beaucoup de vie à ce texte plurimillénaire.
● Comment s’est passé votre rencontre avec Cheick O Sissoko qui est le réalisateur de La Genèse ?
J’ai voulu concrétiser cette intuition en donnant corps au récit biblique en le plongeant l’univers malien. J’ai donc cherché un réalisateur pour faire le film. Cheick Oumar Sissoko était alors directeur du CNPC (Centre national de production cinématographique), l’ancêtre de l’actuel CNCM. Je l’ai contacté. Il m’a reçu.

L’idée l’a tout de suite séduit. Avec le CNPC, sa société de production Kora Films et la société Balanzan que j’avais créée en France, on s’est immédiatement mis au travail pour permettre la réalisation du film : repérages, recherche de financements, partenariats internationaux, etc. Travail efficace puisque La Genèse a même été retenue dans la sélection officielle du Festival de Cannes 1999, dans la section « Un certain regard ».
● Quel a été votre modus opérandus lors de l’écriture, particulièrement, de la Genèse ?
L’écriture du scénario a été un travail personnel, d’abord solitaire. J’ai sélectionné dans le livre de la Genèse quelques épisodes qui me semblaient pouvoir être éclairés par leur immersion dans l’univers malien, notamment l’histoire de Dina, fille de Jacob (Yakouba) et petite fille d’Abraham (Ibrahim). Ensuite, j’ai participé aux repérages, notamment dans les paysages très inspirants de Hombori. Ce travail a enfanté le scénario que j’ai remis à Cheick Oumar Sissoko.

● Le scénario ne se base pas uniquement que sur la bible, il est annonciateur aussi de conflit entre pasteur et agriculteurs, une prédilection peut-être de ce qui se passe aujourd’hui dans le Sahel, pourquoi ce mélange ?
Après la genèse, vous n’avez pas écrit d’autre scénario pour le cinéma pourquoi ?
Je ne dirais pas « mélange », mais plutôt connivence entre l’univers biblique et celui du Mali rural. Le film reste très proche des épisodes racontés dans le livre saint. Je n’ai pas eu besoin d’en rajouter pour ça. Sur le tournage, il y avait Sotigui Kouyaté, qui jouait Yakouba, et Habib Dembélé Guimba. Impressionné par la qualité des nombreux artistes engagés dans cette aventure, je leur ai proposé de créer une compagnie théâtrale pour que ces talents puissent s’exprimer de façon plus permanente. Nous avons donc mis en place la Compagnie du Mandéka Théâtre autour d’une adaptation de l’Antigone de Sophocle. Du Mandéka théâtre est né BlonBa, créé avec Alioune Ifra Ndiaye qui nous avait rejoint, et dont une des branches est aujourd’hui la compagnie BaroDa. De cette histoire sont nés plus de 20 spectacles créés à Bamako, spectacles qui ont voyagé dans 14 pays d’Afrique, d’Europe, d’Amérique et d’Asie. Même si j’ai gardé un pied dans l’audiovisuel, l’aventure théâtrale a suffi à combler mon temps et mon imagination.

● Selon vous, quelle est la place d’un scénario dans la réussite d’une production cinématographique ?
Une bonne idée plus une dramaturgie efficace plus une rencontre réussie avec celles et ceux qui vont donner corps au texte et aux dialogues… Le scénario est bien sûr essentiel. Mais ce sont des lettres sur des feuilles de papier ou sur des écrans d’ordinateur. Le film n’existe qu’une fois réalisé. C’est pourquoi La Genèse n’est pas signée par moi, mais par son réalisateur, Cheick Oumar Sissoko.
● Le cinéma malien et africain est en carence de scénariste ce manque est dû à quoi ?
La vie culturelle du Mali hérite d’un très riche patrimoine, mais le cinéma est né ailleurs et son histoire a été d’une certaine manière confisquée par le monde dominant. L’histoire du cinéma malien, déjà riche, se construit en s’enracinant dans ces deux sources : le patrimoine local (façons de raconter, de jouer, etc.) et aussi l’histoire du cinéma, de ses réussites, de ses techniques, etc. Ce travail est en cours. Il reste en effet beaucoup à faire pour en maîtriser et en acclimater avec sérieux toutes les étapes. Un volet de la refondation en cours.
● Un mot sur la place du critique cinéma pour une industrie cinématographique ?
Il est très important pour progresser d’avoir des avis libres et charpentés sur les œuvres produites. La critique cinématographique, mais aussi théâtrale sont indispensables et doivent se débarrasser de l’amateurisme comme de la complaisance qui souvent les affaiblissent. Il me semble que c’est en cours. Par exemple avec votre projet de journal spécialisée, mais je pense aussi à l’excellent site d’information culturelle Kone’xion Culture qu’ont lancé Issouf Koné « Iss Bill » et Youssef Koné. On avance.
● Pouvez-vous nous en dire plus sur vos projets actuels et futurs ?
La Compagnie BaroDa fait actuellement tourner trois spectacles qui ont connu ou connaissent un grand succès. « Je suis Frederick Douglass » est une adaptation théâtrale et chorégraphique d’un livre qui pour moi a une très grande importance, les mémoires de ce grand Américain né esclave au XIXe siècle et devenu un des acteurs majeurs de l’émancipation des Africains-Américains. Un texte qui contribue beaucoup à la renaissance de l’autonomie et de la fierté des enfants d’Afrique. KotÉsope est une adaptation façon kotèba des fables d’Ésope, auteur du 6e siècle avant JC, qui a écrit en grec mais dont beaucoup d’indices donnent à penser qu’il serait né en Afrique. On peut en voir une version vidéo sur les chaines Baroda de YouTube et Culture en partage de TikTok.

Et nous créons aussi un spectacle inspiré du patrimoine donso sous le titre Ni Bèè Ni (Toute vie est une vie). Enfin, nous sommes engagés dans un projet ambitieux, « La passion d’Issa Youssouf », qui mobilise sept comédiens et comédiennes sur scène et qui est librement inspiré de l’histoire de Cheick Hamallah, le saint soufi de Nioro. Nous sommes à la recherche de partenariats pour monter définitivement ce projet. On peut en voir une belle lecture filmée sur la chaîne YouTube de BaroDa.
JOURNAL DU CINÉMA ET DE LA TÉLÉVISION
Malick Sangaré
bonjour, je viens de lire votre biographie, je vous suit sur facebook mais sous le nom de l’association que je préside jumelage Somadougou:. Je suis allée pour la première fois en 1994. Ce fut une révélation et mon attachement pour le Mali est entier et inconditionnel. Une amitié profonde est née et je suis ravagée parce que l’on ,ne peut y aller. la communication à distance est ce qui nous reste… Bravo pour tout ce que vous faites pour promouvoir la culture malienne. Moi, j’essaie aussi de la diffuser et à chaque AG du comité, mon introduction est toujours un diaporama sur les paysages et la vie là bas pour que le public s’imprègne sinon des odeurs, de la couleur et de la beauté
Merci à vous d’avoir prié le temps de nous repondre.
Nous espèrons que tout va s’arrager pour que vous puissiez admirer une seconde fois les beaux payssages du Mali.