Interview

Le premier film projeté dans la salle de cinéma de Gao, date du 11 Avril 1941. Me raconta ma maman (paix à son âme), car c’est ce jour qu’est né le fils aîné de notre famille.

Ancien légionnaire du Centre National de la Cinématographie du Mali (CNCM) Mohamed Lamine TOURÉ dit MLT directeur de la photographie en interview exclusive sur le JOURNAL DU CINÉMA ET DE LA TÉLÉVISION.

JOURNAL DU CINÉMA ET DE LA TÉLÉVISION : C’est quoi un directeur photo de cinéma ?

MLT : Directeur de la photographie ou chef opérateur image (selon la terminologie française) est un technicien hautement spécialisé dans les questions d’image et d’éclairage. Pour accomplir sa tâche sur un plateau en fonction de la taille du tournage, peut avoir sous sa supervision, au moins trois assistants sinon plus : le caméraman (si le directeur de la photographie ne tient pas lui-même la caméra) le premier assistant caméraman appelé aussi focus Puller, le deuxième assistant, occupé de charger et décharger la pellicule avant, pendant et après le tournage. Ce poste a disparu depuis l’arrivée du numérique dans le cinéma et l’audiovisuel et est remplacé par le DIT. Il faut aussi prendre en compte l’assistant chargé d’installer les écrans de visionnement sur le plateau. En plus de l’équipe image, il supervise aussi, les équipes de la lumière et de la machinerie. En plus de ses connaissances de la caméra, c’est aussi et surtout un spécialiste de l’éclairage. À l’image du peintre plasticien, le directeur de la photographie, avec sa palette de lumière, se charge de traduire en image et créer les atmosphères lumineuses du scénario, selon les indications du réalisateur, que ça soit une scène d’intérieur ou d’extérieur, de jour ou de nuit. Chacune de ces scènes est éclairée de façon particulière.

JCT : Quelles sont les qualités requises pour exercer ce métier ?

MLT : Comme tous les métiers, du cinéma et de l’audiovisuel, celui de Directeur de la photographie exige de solides études, à la fois théorique et pratique. La formation cinématographique est très longue (de 02 ans à 05 ans). Une formation s’accompagne obligatoirement de pratique sur le plateau. Concernant la direction de la photographie, il faudra commencer au plus bas de l’échelle, gravir toutes les marches pour arriver enfin au grade de directeur de la photographie. En ce qui me concerne, j’ai fait l’essentiel de ma formation sur le terrain. À part quelques stages de 3 à 6 mois. Au cours de ma formation pratique, j’ai eu la chance d’assister quelques grands directeurs de la phographie, Lionel Cousin, Yorgos Arvanitis, Jean Michel Humeau, Jean Noël Farragut etc. Sans compter les directeurs de la photographie que j’ai eus à assister, au cours de mes voyages d’accompagnement des équipes d’étrangères qui venaient produire au Mali. C’est ainsi que j’ai travaillé avec le directeur de la photographie : surnommé A- J du film Malcom X de Spike Lee, ainsi que le cameraman du même film ; Cette fois-ci, il faisait office directeur de la photographie de M’Battü, film de Cheick Oumar Sissoko tourné à Dakar. Je me suis ce qu’on appelle dans le jargon militaire ; un directeur de la photographie sac au dos. Deuxièmement, il faut avoir une solide culture cinématographique, sur les autres branches du métier, pour discuter avec responsables de ces postes et traduire fidèlement le contenu d’un scénario et répondre aux exigences du réalisateur. Troisièmement, être grand cinéphile, toute chose te permettant d’analyser les travaux des autres directeurs de la photographie sur le double plan de la technique et de l’éclairage et les reproduire à l’occasion. Si le directeur de la photographie peut passer la camera à son assistant, il n’en est absolument pas question pour la lumière qui est la partie artistique d’un film et qui relève de sa seule responsabilité. Quatrièmement, visiter les expositions d’art plastique, qui sont souvent une source d’inspiration pour un directeur de la photographie. Enfin, se tenir informé de l’apparition des nouveaux appareils de prise de vues et autres équipement du cinéma, surtout à l’ère du numérique où apparaissent des nouveautés presque chaque trimestre.

JCT : Qu’est-ce qui vous plaît tant dans le métier de directeur photo ?

MLT : La reconnaissance de la qualité de mon travail, sur un film, c’est une immense source de fierté et d’orgueil pour un directeur de la photographie. Avoir pris part à une production qui fait un tabac auprès du public, quelques moments de bonheur. Enfin, le poste de directeur de la photographie le mieux rémunéré d’une production. Chose qui est à prendre en compte.

JCT : Pouvez-vous nous décrire votre parcours dans le cinéma du début à maintenant ?

MLT : À l’instar de ceux de mon âge, j’ai été depuis mon jeune âge fasciné par le cinéma, ces images animées et parlant. Mes camarades de l’époque et moi essayions de les reproduire dans un coin de la maison familiale sur un écran peint en blanc en présence de mes camarades et de mes sœurs. C’est ainsi que tous les dimanches, jeudi et jour de fête, nous nous rendions dans la salle de cinéma de la ville de Gao pour assister aux projections dites de matinée. Des occasions que je ne manquais presque jamais. À la veille de la retraite professionnelle de mon père nous, nous rendîmes donc à Bamako. Nous habitions le quartier de Bozola, ; quartier qui était entouré de salles de cinéma, dans un rayon d’un kilometre à la ronde : Le Vox, le Rex, le Soudan Ciné, plus tard le Babemba, le Rio, El-Hadj et El- Hilal. Alors imaginez la passion du cinéma, pour des enfants vivant dans les quartiers périphériques de ces salles. Permettez-moi, avant de continuer de faire un flash-back dans mon parcours cinématographique. << Le premier film projeté dans la salle de cinéma de Gao, date du 11 Avril 1941. Me raconta ma maman (paix à son âme), car c’est ce jour qu’est né le fils aîné de notre famille. Lors de la projection inaugurale, cette nuit-là, tous les travailleurs ayant pris part à la construction de cette salle, dont mon père maçon, furent présentés au public>>. Plus tard, ma tante, grande cinéphile devant l’éternelle, se faisait accompagner par un membre de ma famille, dont une de mes trios sœurs ou moi, mais moi plus que mes sœurs. Chaque fois qu’ elle se rendait au cinéma. Arrivée, à l’entrée de la salle : “je suis avec l’enfant de Batiécoro”. Disait-elle. Nous lui servions de passe-droit. Il faut rappeler que les maçons ayant participé à la construction de cette salle, ainsi que les membres de leur famille bénéficiaient de la gratuité de l’entrée dans la salle. C’est ainsi que j’ai eu la chance de voir des films comme “Mangala fille des Indes, le Magicien de l’enfer, Bufalo Bill, les trios Mousquetaires, plusieurs films d’Eddie Constantine et j’en passe. Retour à Bozola, pendant les grandes vacances scolaires, mes camarades et moi, ne rations jamais les projections cinéma. Et quand nous n’avions pas d’argent, on montait sur l’arbre situé côté ouest de la salle Vox, pour assister aux projections ; tout comme le faisaient Sidibé et son acolyte dans le film “Demain à Nanguila”, premier film malien. Cet arbre dit “tabanogô “ en bambara est encore visible. Longue vie à lui. ‘Cinéma paradisio” C’est dans cette atmosphère de cinéphile, qu’en 1978, je suis réussi au concours de recrutement de techniciens de cinéma, organisé par le CNPC, aujourd’hui CNCM. Les lauréats devraient bénéficier de bourses de formation, mais qui ne sont jamais arrivé. Le vin est tiré, il faut le boire. Puisqu’on est là, on y reste. Mai, j’ai bénéficié de quelques stages en Angleterre, en France, et ailleursAprès ces stages par-ci par-là, et les multiples plateaux de tournage auxquels j’ai pris part avec des équipes européennes, américaines et asiatiques, etc… Qui venaient tourner au Mali avec lesquelles j’ai acquis une grande expérience dans le cinéma ; Au cours de ces différents tournages, j’ai rencontré de grands directeurs de la photographie.Si j’en suis aujourd’hui à ce stade da ma carrière : Directeur de la photographie, c’est aussi grâce à ces rencontres.

NB : Mon CV est au bas de l’interview.

JCT : Ça ressemble à quoi d’être un directeur de photo d’un des grands réalisateurs maliens Cheick Oumar Sissoko ou du réalisateur Ibrahim Touré ?

JCT : Reconnaissance, consécration, de ma carrière, mais aussi inquiétude. L’on ne peut s’empêcher de se poser la question de savoir si le résultat de ton travail serait à hauteur des attentes d’un grand réalisateur de la trempe de Cheick Oumar Sissoko. Ouf ! Le résultat fut concluant. D’autre part, j’abordais le travail avec une certaine confiance, Cheick Oumar Sissoko est un réalisateur que je connais bien, tant du point de vue de son tempérament que de sa technique de mise en scène. Cette confiance vient du fait que j’ai collaboré avec lui sur presque la totalité de ses films, et cela, depuis plus de quarante ans.Quant au réalisateur Ibrahima Touré, c’est ma « classe » comme dit dans l’armée. Nous sommes arrivés au CNCM suite au même concours. Depuis nos débuts dans le cinéma, nous avons été très proches, d’abord en tant qu’assistants de Cheick Oumar Sissoko, puis quand il a commencé de réaliser. J’ai travaillé avec lui sur toutes ses réalisations, d’abord comme caméraman, puis comme directeur de la photographie. La collaboration continuera tant que nous avons les ressources physiques et financières nécessaires. Nous vous demandons vos vœux de bonne santé.

JCT : Un directeur photo de cinéma peut-il être considéré comme un artiste ou simple technicien ?

MLT : Au risque de me répéter, je dirai sans l’ombre d’un doute, oui. Un directeur de la photographie est un artiste à 100 %. Quand on voit le résultat de son travail à l’écran et que l’on s’écrie : quelles belles images ! Salut l’artiste.Le directeur de la photographie est aussi bien artiste que technicien ; mais… « simple technicien ». Loin de là. Une composition de cadres, de beaux mouvements de caméra, une bonne exposition des images, tout cela soutenu par une belle lumière, on en vient à oublier qu’on est au cinéma, mais dans la réalité. Après ce grand exploit technique, on a plus le droit de qualifier le directeur de la photographie de « simple technicien ».

JCT : Pouvez-vous nous dire les difficultés et les avantages que vous rencontrez dans l’exercice de votre du métier ?

MLT : Après s’être engagé sur un projet de tournage, que l’on se rend qu’on ne dispose pas du matériel adéquat, que tes collaborateurs directs : assistants images techniciens de lumière, de machinerie, etc. Ne sont pas à hauteur de souhait, l’on en vient à regretter de s’être engagé.C’est plus rassurant pour un directeur de la photographie d’avoir la possibilité de choisir ses collaborateurs. Une équipe qui arrive sur le plateau de tournage sans préparation ; Que les horaires de tournage, de pause et jours de repos ne sont pas respectés, ou que cela n’existe pas ; que les cachets payés aux techniciens, quand la production les paye, ressemble plus à de l’aumône qu’à des salaires ; Oui, il arrive qu’on rencontre des difficultés. Autant de situations de plus en plus fréquentent de nos jours. Mais ça n’a pas toujours été comme cela, et que le cinéma a connu son époque glorieuse. Quelques sociétés de production font des efforts pour rester dans les règles de l’art. Des avantages, il y en a, mais à conditions que les difficultés citées plus haut, soient aplanies. Le cinéma est l’un des plus beaux métiers du monde. C’est le lieu où l’on s’épanouit le plus. Il arrive qu’on ait le sentiment que la réussite d’un film dépend de soi, et chaque membre de l’équipe éprouve ce sentiment. Ce métier exige une grande solidarité, qu’il suffit de la défaillance d’un seul technicien pour mettre la production en péril. Chacun pour tous et tous pour chacun en est la règle d’or. La production d’un film demande tellement de sacrifice en termes de temps, d’engagement, de responsabilité et de passion, vu le coût élevé d’une production qu’aucune défaillance n’est tolérée. De la passion, toujours de la passion, encore de la passion. Si on veut pratiquer ce métier pour s’enrichir, il faut passer son passé son chemin, car ce n’est pas le lieu. Si après, le public fait un accueil triomphal au film, alors là…. Quelle raison de fierté, d’orgueil. Et ‘ the last and not the least’ ; les cachets. Pour ne parler que du salaire d’un directeur de la photographie, c’est le mieux rémunéré des cachets des techniciens, sans compter les primes d’heures supplémentaires, les défraiements, etc. ; mais ça s’était la belle époque. Est-ce que cette époque reviendra, je formule ce souhait, mais cela dépend aussi de la jeune génération.

JCT : Quel est votre film africain préféré en matière d’image ?

MLT : GUIMBA de Cheick, Oumar Sissoko

JCT : Croyez-vous à l’avenir du cinéma malien ?

MLT : Je suis de nature optimiste. Oui. Le cinéma malien à l’instar du cinéma africain, à l’exception de celui du Maghreb et de l’Afrique du Sud, est dans le creux de la vase. Il n’est jamais trop tard de sortir de cette situation ; mais il faut des préalables : les autorités politiques et administratives, les responsables du secteur, Direction du cinéma, Fédération National des Cinéastes ; écoles et instituts de cinéma. Le lancement de la carte professionnelle du cinéma et de l’audiovisuel, est un premier pas vers la professionnalisation du secteur. Les professionnels. Ils sont les plus concernés. Les premiers bénéficiaires, mais aussi les premiers perdants en cas de réussite ou d’échec du cinéma. La génération dite des anciens, a apporté sa pierre dans l’édification de l’édifice du cinéma. À la jeune génération d’apporter sa pierre. Une grosse et lourde pierre. L’avenir du cinéma est entre vos mains ; faites en bon usage. Ne défoncez pas des portes du cinéma qui vous sont grandement ouvertes. Les moyens de production sont si accessibles avec l’arrivée du numérique, que vous n’avez qu’à vous baisser pour les ramasser. Mais comme dit l’adage, quand ramasser devient trop facile, se baisser devient difficile. Et c’est là votre problème.Ayez la passion pour votre métier sans laquelle la réussite dans le cinéma est inenvisageable ; avant tout, il faut et surtout, trois choses….. Pour paraphraser un célèbre cinéaste ; formation ; formation ; formation…

Un dernier conseil à la génération montante….. Fin de Pause ! Plateau ! Plateau ! Retentis la voix de l’assistant-réalisateur…

Eh ! Garçon, un thé s’il te plaît !Équipe image en place !

Filmographie de Mohamed Lamine Touré

1984 : 2ème Assistant caméraman clapman : Yeelen de Souleymane Cissé

1989 : 1er Assistant caméraman : FINZAN de Cheick Oumar Sissoko

1990 : 1er Assistant caméraman : Ta donna de Adama Drabo

Assistant caméraman :

1993 : 1er Assistant caméraman : Farraw de Abdoulaye Ascofaré

1995 : 1er Assistant caméraman : Macadam tribu de Zakka La plaine

1996 : 1er Assistant caméraman : Tafé Fanga de Adama Drabo

1997 : 1er Assistant caméraman : La vie sur terre de Abdramane Sissako

1997 : 1er Assistant caméraman : La Genèse de Cheick Oumar Sissoko

1998: 1er Assistant caméraman : Dama de Léopold TOGO

1999 : 1er Assistant caméraman : M’battu de Cheick Oumar Sissoko

2003 : 1er Assistant caméraman : Kabala de Assane Kouyaté

Caméraman/ cadreur :

1983 : Sécheresse et exode rural de Cheick Oumar Sissoko

1991 : Témoignages démocratiques : de Assane Kouyaté

1992 : Le message du baobab : de Léopold Togo

1992 : L’échange : de Ibrahim Touré1

993 : Le filon d’or : de Fassara Sidy Diabaté

1997 : N’golo dit Papi : de Fatoumata Coulibaly : FC

2001 : La rencontre des chasseurs de l’ouest africain : de Ladji Diakité

2002 : Le Mali en marche : de Fassara Sidy Diabaté

2003 : Hady : de Alou Konaté

2003 : Fantan ni monè : de Boubacar Sidibé

2003 : Dou : Série TV de 20 x 26mn : de Boubacar Sidibé

2005 : Kokadjè : Série TV de 14 x 26mn de Adama Drabo

2006 : Zabou : de Abdoulaye Ascofaré

2018 : Chaytan : de Assane Kouyaté

Directeur de la photographie :

2006 : Commissaire Balla. Série TV de 13 x 26mn : collectif de réalisateurs

2007 : Le Grin Série TV de 20x26mn

2008 : Fantan Fanga. Long métrage fiction de Ladji Diakité et Adama Drabo

2009 : Da Monzon. Long métrage fiction de Fassara Sidy Diabaté

2010 : Toiles d’araignées. Long métrage fiction de Ibrahim Touré

2011 : Les Concessions : Série TV de 52 X 26mn : collectif de réalisateurs

2013 : Rapt à Bamako. Long métrage fiction de Cheick Oumar Sissoko

2015-2016 : Bamako la ville aux 3 Caïmans : Série TV 52x 26mn de Aïda Mady Diallo

2015 : Koussaw  Long métrage fiction de Ibrahim Touré

Malick SANGARÉ

JOURNAL DU CINÉMA ET DE LA TÉLÉVISION

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