
« Le tourisme et l’artisanat sont l’âme de notre cinéma. Ils donnent une authenticité visuelle aux récits et connectent les spectateurs au cœur même de notre culture » Mamary DIARRA, Directeur National du Tourisme et de l’Hôtellerie.
Les États généraux de la culture et de l’artisanat ont marqué un tournant décisif dans la manière dont le Mali envisage son avenir culturel. Réunissant artistes, artisans, décideurs et visionnaires, cet événement a mis en lumière des synergies inattendues entre deux mondes en apparence éloignés : le cinéma et le tourisme.
Dans un entretien, le Directeur National du Tourisme et de l’Hôtellerie Mamary Diarra, nous partage sa vision mitigée entre rêve et stratégie, pour repenser le rôle du cinéma, du tourisme et de l’artisanat dans la revalorisation de l’identité malienne.

Journal du Cinéma et de la Télévision (JCT) : Le Mali regorge de lieux extraordinaires, mais une grande partie reste méconnue, même des Maliens. Pourquoi, selon vous ?
Mamary DIARRA (MD) : Le problème ne réside pas dans la beauté ou la richesse de notre patrimoine, mais dans notre incapacité à raconter nos propres histoires. Prenez le Tata de Masigui : c’est un site historique extraordinaire, témoin de la résilience malienne. Pourtant, il est quasi inconnu. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas su maîtriser l’art de la narration visuelle pour le mettre en valeur.
Un site, aussi splendide soit-il, ne devient une légende que s’il est sublimé par des récits captivants. Imaginez ce Tata filmé à la lumière crépusculaire, enveloppé d’une musique traditionnelle envoûtante. Plus qu’un lieu, il deviendra une légende.
JCT : Vous présentez le cinéma comme un outil de marketing territorial. Pouvez-vous nous donner plus de détails?
MD : Absolument. Les films sont plus que des œuvres artistiques, ils sont des fenêtres sur des mondes. Lorsqu’un spectateur découvre un paysage captivant à l’écran, il veut le voir de ses propres yeux. Nous avons vu cet effet ailleurs : grâce au cinéma, les lieux comme Petra en Jordanie, le Machu Picchu au Pérou, ou même des villages italiens ont vu leur fréquentation exploser.
Pour le Mali, cela signifie que chaque site peut devenir un personnage à part entière dans nos récits cinématographiques. Nos paysages et nos traditions, filmés avec authenticité, peuvent attirer non seulement des touristes, mais aussi des investisseurs et des partenaires internationaux.
JCT : Vos propos tournent autour d’une synergie entre cinéma, tourisme et artisanat. Est-ce une vision réaliste ou une formule ?
MD : C’est une opportunité concrète, et je vais vous dire pourquoi. Un film tourné dans un village crée une dynamique immédiate : les habitants deviennent guides, hôtes ou fournisseurs pour l’équipe de production. Les artisans locaux, eux, bénéficient d’une visibilité accrue.
Maintenant, si dans le film, on utilise des bijoux ou des textiles traditionnels comme accessoires. Ces objets deviennent alors des ambassadeurs culturels, racontant notre histoire à travers le monde. Les visiteurs, séduits par ce qu’ils ont vu à l’écran, viendront pour vivre cette expérience avec enthousiaste.
JCT : Le cinéma malien est-il prêt à relever ce défi ?
MD : Bien sûr, notre cinéma a prouvé son talent dans des festivals comme le FESPACO et bien d’autre. Mais pour aller plus loin, il doit s’appuyer sur une stratégie claire. Nos réalisateurs doivent comprendre que nos sites historiques, nos villages et nos traditions ne sont pas de simples décors : ce sont des acteurs essentiels. Il ne s’agit pas de choisir entre modernité et tradition, mais de les fusionner pour créer une narration universelle.
Tombouctou, Djenné ou les falaises de Bandiagara ont déjà leur renommée. Il est temps qu’on met en avant les sites moins connus comme la mosquée de Woulessebougou ou les montagnes de Hombori.

JCT : Quel rôle jouent exactement les communautés locales dans cette vision ?
MD : Elles sont au centre de tout. Au-delà de l’opportunité économique, lorsqu’un tournage s’installe dans un village, c’est une fierté pour les habitants de voir leur patrimoine valorisé. C’est aussi une manière de préserver nos traditions, en les transmettant à travers les générations.
JCT : Sans financement, ces rêves risquent de rester au stade de vision. Comment surmonter cet obstacle ?
MD : Effectivement, le financement est un défi majeur, mais elle n’est pas insurmontable. Nous devons mobiliser des partenaires locaux, des bailleurs internationaux et des mécènes. Cela passe par la création de fonds dédiés au cinéma, à l’artisanat et au tourisme, mais aussi par une consommation accrue de notre propre culture (films, habits, musiques, accessoires etc.)
Enfin, il faut aussi lutter contre les stéréotypes qui réduisent l’Afrique à certains clichés. Le Mali est bien plus que cela.
JCT : Si vous deviez convaincre un producteur international de tourner au Mali, que lui diriez-vous ?
MD : Je lui dirais : Venez chercher l’authenticité, raconter des histoires que personne d’autre ne peut raconter. Le Mali est un terrain vierge, une mosaïque d’émotions et de paysages uniques.
JCT : Quel message souhaitez-vous transmettre aux Maliens ?
MD : J’appelle chaque Malien à être fier de son patrimoine et à le préserver. Nos histoires, nos traditions et nos paysages sont des trésors inestimables. Soutenez nos artistes, nos artisans, et montrez au monde ce que le Mali a de meilleur. Ensemble, nous pouvons bâtir une nation forte et rayonnante.
JCT : Un dernier mot pour conclure ?
MD : Le Mali n’est pas qu’un pays. C’est une panoplie de cultures, un livre d’histoires qui ne demandent qu’à être racontées. Le cinéma, le tourisme et l’artisanat sont les clés pour ouvrir ce livre au monde entier. Nous avons le talent, les lieux et les récits. Il est temps de transformer cette vision en réalité.
Pour Mamary DIARRA, le Mali doit élargir son prisme afin de briller sur la scène internationale et concrétise sa vision d’un Mali où chaque site est un décor, chaque artisan un créateur, et chaque film un pont entre les cultures.
Cet événement qu’est les États généraux a planté les graines d’un avenir prometteur. Reste à voir si le Mali saura cultiver ces idées pour en faire une réalité florissante, où la culture, l’artisanat, le tourisme et le cinéma s’unissent pour écrire une nouvelle page de l’histoire du Mali.
Natiengueba DIARRA
Journal du cinéma et de la télévision
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