MOOLAADE : QUAND UN SIMPLE FIL DE PAROLE DEFIE DES SIECLES DE SILENCE

Un chef-d’œuvre cinématographique, une révolte en images, une déclaration de guerre contre l’oppression des femmes, un cri de résistance tant de mots qui résume parfaitement ce film d’Ousmane SEMBENE.

La Journée mondiale contre les mutilations génitales féminines (MGF) est célébrée chaque 6 février depuis 2003. Une date qui résonne comme un cri d’alerte pour plus de 230 millions de filles et de femmes victimes de cette pratique barbare. Un chiffre glaçant, une tragédie humaine. Pourtant, dans le silence assourdissant de la souffrance, il existe des voix qui se lèvent. Il y a 21 ans, un film africain bouleversa le monde en osant défier ce tabou ancestral. Vous l’avez compris il s’agit du long métrage « Moolaadé ».

Quand le cinéma devient un champ de bataille

En 2004, le père du cinéma africain Ousmane SEMBENE, nous offra un film d’une puissance rare. L’histoire se déroule dans un petit village d’Afrique de l’Ouest où une femme, Collé Ardo incarnée avec une intensité saisissante par Fatoumata COULIBALY, brise le silence et défie les anciens en refusant de livrer des fillettes à l’excision.

Elle ne brandit pas d’arme, ne mène pas d’armée, elle invoque simplement le Moolaadé, un droit d’asile sacré qui interdit à quiconque de les toucher tant qu’elles se trouvent sous sa protection. Avec ce mot, Collé érige une frontière invisible mais infranchissable.

À travers ce récit, Sembène expose avec une justesse implacable la violence d’un patriarcat qui se dissimule derrière les traditions. Mais plus encore, il célèbre le courage des femmes qui osent dire « non ». Ce non qui, dans tant de cultures, est encore aujourd’hui synonyme de transgression, voire de condamnation sociale.

Deux décennies plus tard, le message de Moolaadé est toujours d’actualité. Malgré les lois, malgré les campagnes de sensibilisation, l’excision perdure. L’Organisation mondiale de la santé estime que si rien n’est fait, 4,6 millions de filles risquent d’être excisées chaque année d’ici 2030.

Dans de nombreuses communautés, la pression sociale est si forte que refuser l’excision revient à s’exclure soi-même. Les Collé Ardo d’aujourd’hui existent, mais elles sont rares, et souvent brisées sous le poids de ce qu’on appelle patriarcat. Alors que reste-t-il ? L’éducation, la sensibilisation, la transmission, exactement ce que prône Moolaadé.

Un chef-d’œuvre au-delà du message véhiculé

Il serait injuste de réduire ce film à son seul propos militant. Car au-delà du cri de révolte, c’est aussi un bijou cinématographique. Que dire de la mise en scène de SEMBENE, une mise en scène empreint d’intelligence et de subtilité. Il ne force ni le trait, ni ne tombe dans la caricature nous offrant une vision réaliste et poignante de la vie communautaire et des forces en jeu dans la lutte pour la liberté. Le cinéaste montre les exciseuses, non pas comme des bourreaux, mais comme des femmes elles-mêmes prisonnières d’un système qu’elles perpétuent par devoir.

La photographie, baignée de couleurs chaudes, contraste avec la brutalité du sujet. Le décor vivant, presque mythique avec une architecture précoloniale en terre cuite, des montagnes verdoyantes en arrière-plan, et un village qui devient le théâtre d’un affrontement symbolique : tradition vs modernité, silence vs parole, oppression vs liberté.

Les sons (tambours, radios, voix des anciens) créent une tension qui interpelle. Et puis, il y a ce moment bouleversant où les hommes du village brûlent les radios, ces objets qui apportent des idées de liberté, de modernité. Comme si en détruisant la parole, ils espéraient étouffer la révolte. Mais ça c’est mal connaitre notre Collé, qui ne flanche pas et reste déterminé contre tout attente.

Et Aujourd’hui ?

Vingt et un ans plus tard, que reste-t-il de Moolaadé ? Un chef-d’œuvre incontournable, mais aussi un rappel amer que la lutte continue. Aujourd’hui, des femmes comme Collé Ardo existent. Elles militent, protègent, éduquent. Mais elles ont besoin de soutien.

Le cinéma peut-il changer le monde ? Peut-être pas à lui seul. Mais il peut ouvrir des yeux, brise des silences et inspire des résistances.

Alors, à l’occasion de la Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines, regardons Moolaadé et posons-nous ces questions : À quel point avons-nous progressé, et combien reste-t-il encore à faire pour honorer la bravoure de celles qui, comme Collé Ardo, osent défier l’ordre établi pour protéger les générations futures ? Que ferions-nous, si un simple mot pouvait sauver des vies ? Aurions-nous le courage de le prononcer ?

Moolaadé, ce film aussi comique que dramatique utilise la parole comme arme de résistance, ici, pas de fusil, pas de guerre. Parce que parfois, il suffit d’un mot pour changer l’histoire.

Natiengueba DIARRA

Journal du Cinéma et de la Télévision

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