
Dans son nouveau film Walata, Le Vent du Sud, le réalisateur Aboubacar Gakou nous plonge dans une histoire d’amour aussi intense que taboue, portée par une tension entre foi, tradition et désirs personnels. Une œuvre intimiste et mystique, qui explore les limites imposées par les héritages culturels et les injonctions religieuses.
Une histoire d’amour, mais pas seulement
À première vue, Walata semble raconter une simple histoire d’amour impossible : celle d’un jeune homme profondément croyant, confronté à ses sentiments pour sa cousine. Mais comme le souligne Gakou, « ce n’est pas qu’une histoire d’amour. C’est une recherche de soi, une plongée dans les secrets intimes que chacun porte en lui ». À travers ce personnage, tiraillé entre spiritualité et passion, le film interroge la place du désir dans des sociétés où les traditions familiales pèsent lourdement.
Le protagoniste, très investi dans la pratique de l’islam, voit son monde basculer lorsqu’il tombe amoureux d’une cousine du côté paternel — un lien formellement interdit dans sa lignée depuis des générations. Loin du mélodrame, Gakou traite ce dilemme avec subtilité, injectant dans son récit une dose de mysticisme et de questionnements identitaires.
Trècheville, berceau d’une mémoire
Le choix du quartier de Trècheville à Abidjan comme décor n’est pas anodin. « La partie réelle de l’histoire s’est déroulée là-bas », précise le cinéaste. Cette ancrage dans une réalité géographique renforce la portée émotionnelle du film et donne une dimension documentaire à la fiction.
Le récit nous emmène ensuite vingt ans plus tard, dans un voyage initiatique qui propulse le héros dans le désert à la rencontre d’un ancêtre. Ce face-à-face devient un moment clé, un rite de passage, une forme de réparation générationnelle. Walata prend alors une ampleur symbolique : c’est un film sur la réconciliation avec le passé, sur l’héritage et la liberté intérieure.
Un message d’espoir universel
Derrière l’histoire personnelle du héros se cache une vérité universelle. « Chacun d’entre nous a une histoire de cœur », rappelle Gakou. En faisant le pari d’un récit intimiste, le film touche une corde sensible chez tous les spectateurs. L’amour y devient une force transformatrice, capable de briser des interdits séculaires et de réconcilier l’individu avec ses aspirations profondes.
« Je veux qu’on croie que le vrai amour existe toujours », confie le réalisateur. Le message est clair : même dans les sociétés les plus conservatrices, les émotions humaines conservent leur pouvoir de résistance.
Ramata et Barry : deux révélations
Pour incarner ses personnages, Gakou s’est appuyé sur deux talents prometteurs : Ramata Sissoko, son actrice fétiche, découverte lors de son premier long-métrage en 2015, et Abdramane Barry, dont la sérénité et la rigueur ont immédiatement séduit le réalisateur. « Je cherchais quelqu’un de calme, carré, sans bavures. Bari avait tout cela en lui », dit-il. Leur alchimie à l’écran porte le film et lui donne une force authentique.
Vers une renaissance du cinéma malien ?
Malgré les défis auxquels il est confronté, Aboubacar Gakou reste optimiste quant à la rentabilité du cinéma malien. « Depuis 2018, nos films arrivent à remplir les salles, même sans grands moyens », affirme-t-il. Grâce à l’appui des influenceurs et des comédiens populaires, les projections deviennent des événements fédérateurs. C’est un signe encourageant pour une industrie qui a longtemps été en sommeil.
Mais il alerte aussi sur les difficultés : « Le cinéma malien souffre. C’est devenu un parcours du combattant. Seuls les passionnés s’accrochent encore. » Il appelle de ses vœux la mise en place de fonds de soutien, comme c’est le cas dans d’autres pays de la sous-région. « Ce soutien est indispensable pour permettre aux cinéastes maliens de continuer à créer et à rêver grand. »
Walata, Le Vent du Sud s’impose ainsi comme une œuvre à la fois personnelle et universelle, où l’amour, la foi et l’identité se confrontent dans un souffle poétique et spirituel. Un film qui confirme le talent singulier d’Aboubacar Gakou, et qui marque peut-être le début d’un nouveau vent pour le cinéma malien.
Malick SANGARÉ
Journal du Cinéma et de la Télévision
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